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Des objets du XIXe s. inhumés avec dévotion dans l’église de Verneuil-sur-Seine

Lors du diagnostic archéologique réalisé, en 2012, dans l’église Saint-Martin (lien vers l’article en ligne), un dépôt de mobilier a été exhumé au centre du chœur. L’élément central de ce dépôt était une cruche en grès du Beauvaisis contenant un lot de mobilier.


Au total 57 objets, fragments et matériaux indéterminés, ont été dénombrés, dont près d’une cinquantaine placée à l’intérieur de la cruche. Ils sont datés dans un intervalle allant de la Révolution (1789-1794) à la Monarchie de Juillet (1830-1848). Plus précisément, le millésime de 1838 a été gravé au dos d’une rosace en plâtre et sur une tomette, placées à côté et dessus la cruche.











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Principaux objets du dépôt. A l’arrière, le dos de la rosace présente la date gravée de 1838.

Parmi les éléments remarquables contenus dans la cruche, treize objets étaient détériorés avant le dépôt, sept sont en alliage cuivreux plaqués d’or et un est en argent. La plupart des artefacts sont dépareillés. Plus de la moitié de l’ensemble correspond à de l’équipement personnel attribuable à la mercerie (dés à coudre), à la vie sociale (plumes d’écriture, pipes) et à la vie domestique (activité culinaire, éclairage). Ce lot n’a pas de cohérence évidente et semble être d’origine économique variée.

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Tomette en terre cuite, gravée de l’année 1838, qui fermait la cruche.

Cependant, les objets placés autour de la cruche (bouchons de pots et bouteilles) évoqueraient une pratique collective, peut-être cérémonielle (exhibition et agape ?), réalisée au moment du dépôt (bouchons utilisés en guise de taste-vin ?).

D’autre part, la forme du creusement et la disposition des objets dans la fosse permettent de restituer la gestuelle de chaque étape de l’installation. Il s’agit d’une mise en place minutieuse afin de ne pas détériorer les objets. Il n’y a donc aucun doute sur l’intention respectueuse de la ou des personnes l’ayant réalisé. Ceci coïncide avec le choix de sa localisation dans un espace sacré, mais contraste toutefois avec le caractère profane du mobilier.


La présence d’objets en apparence incongrus dans une église pourrait s’expliquer par un changement dans le comportement des vivants envers les morts au début du XIXe s. En effet, à Verneuil-sur-Seine, le cimetière, qui est alors situé le long de l’église, se présente sans organisation ni signalement des tombes. Un décret napoléonien, du 12 juin 1804, impose l’individualisation des sépultures, notamment pour des raisons de salubrité. Il est mis en application à Verneuil en 1831 pour que les tombes soient alignées et juxtaposées (ceci aide d’ailleurs les familles à les retrouver et à maintenir un lien avec leurs morts). On sait aussi qu’entre 1831 et 1838, 111 individus de tout âge sont décédés sur la commune.
Les objets en question étaient donc, peut-être, initialement déposés dans ou sur les tombes pendant ou après l’enterrement. Et lors de nouvelles inhumations, ils ont pu être mis au jour. L’instituteur, désigné comme fossoyeur, ou le curé auraient pris le parti de les ré-enterrer dans le chœur afin de les conserver dans un espace consacré.

Pour l’instant, l’interprétation de cette découverte reste à l’état d’hypothèse. Ce dépôt s’avère unique en son genre et serait à l’initiative d’un individu ou d’un petit collectif, sans qu’il puisse être attribuable à une pratique régulière.



Un objet singulier : une tête de pipe à l’effigie de Napoléon

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Tête de pipe représentant Napoléon Bonaparte en buste, fracturée au niveau du cou.

Dans le dépôt, un objet a particulièrement retenu l’attention des archéologues. Il s’agit d’une tête de pipe en terre noire mise en forme par moulage. Le fourneau représente un buste de Napoléon Bonaparte en tenue de colonel chasseur de la garde, arborant la Légion d’honneur. Cette tenue était une des favorites de l’Empereur et se reconnait par ses épaulettes à frange et son gilet à double rangée de boutons (habituellement blanc ou vert, en laine ou en coton). La tête, faisant office de gueule du fourneau, est manquante, fracturée au niveau du cou (elle était surmontée d’un chapeau). Cet élément en terre est mobile afin de s’adapter au bout d’un tuyau en s’insérant dans une douille. Ceci permettait aux fumeurs de changer à volonté l’aspect de leur pipe.

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Surface de la tête de pipe. On peut voir des éraflures réalisées avant cuisson.

La surface de l’objet présente un aspect brillant, obtenu par un polissage, réalisé avant le séchage complet. Une mauvaise manipulation avant ce séchage a laissé de petites éraflures dans la matière. De manière générale, cet état de surface suggère un traitement peu soigneux qui traduit une production en série.


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Détail de l’estampille au monogramme "LF".

Sur le côté droit, une estampille au monogramme "LF" est apposée. Elle correspond aux initiales de Louis Fiolet, pipier à Saint-Omer (Pas-de-Calais). Cette manufacture n’est pas la seule à produire des têtes de pipe à l’effigie de Napoléon au début du XIXe s. Plusieurs catalogues de cette époque montrent des productions similaires comme celui de la manufacture Gambier, à Givet (Ardennes). L’Empereur est le plus souvent représenté par sa tête, portant le bicorne ou la couronne de laurier, ou parfois en buste comme le modèle de Verneuil-sur-Seine. Différents matériaux sont employés : la porcelaine émaillée blanche, la porcelaine peinte, la terre cuite blanche ou noire.

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Extrait du catalogue de Louis Fiolet de 1846 (©André Leclaire).

Plus généralement, ces manufactures proposaient un nombre important de têtes de pipe à l’image de personnages populaires, publics (politiques, militaires, etc.) ou imaginaires. Celles-ci sont du registre de la caricature, mode de représentation en plein essor dans les années 1830. Du fait de leur interchangeabilité, ces objets sont à considérer comme des accessoires de mode.

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Lot de 3 pipes découvertes dans la cruche.

Deux autres pipes étaient déposées dans la cruche. Cassées au niveau du tuyau, elles conservaient encore des restes de combustion. Leur forme est quasiment identique et de facture plus simple que la Napoléon. Ce sont des modèles communs au XIXe s. de la marque Gambier.
À l’instar d’autres objets trouvés en plusieurs exemplaires dans le dépôt (boutons, boucles), les différences de qualité de ces trois pipes pourraient évoquer une origine sociale variée de leurs propriétaires. Par ailleurs, ces pipes, produites durant le premier tiers du XIXe s., sont également les témoignages d’une époque où consommer du tabac devient une norme.

En image...

Exemplaire identique et complet, vendu en 2012 par les Antiques de Laval (©Luc de Laval). Une des bouteilles déposées à côté de la cruche en grès. Pointes de plumes à écrire découvertes dans la cruche. Serpette déposée dans la cruche.
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