Une cuillère médiévale à Chevreuse… un objet pas si ordinaire
Objet commun s’il en est aujourd’hui, la cuillère est connue en France dès le Néolithique (vers 4 000 ans avant J.-C.), mais son usage devient plus fréquent au cours de l’Antiquité (du Ier siècle avant J.-C. au IVème siècle après J.-C.). Plusieurs sites archéologiques yvelinois en ont livré des exemplaires en os, par exemple aux Mureaux et à Jouars-Pontchartrain, en fer ou en plomb à Bennecourt, en cuivre à Maule et en argent à Limetz-Villez. Au cours du Moyen Âge, on en retrouve parfois dans les habitats ruraux ou en milieu urbain et, bien évidement, dans les résidences des seigneurs que sont les châteaux…
En 1979, les fouilles réalisées dans le château de La Madeleine à Chevreuse ont permis la découverte de trois exemplaires de cet ustensile. La cuillère présentée ici a été découverte dans une fosse servant de dépotoir, située dans la tour sud du châtelet d’entrée.
Datée par le contexte archéologique de la fin du XIVème siècle ou du début du XVème siècle (1375-1425), elle est constituée d’un alliage cuivreux (bronze) et a été retrouvée cassée en deux. Pour la confectionner, l’artisan s’est probablement servi d’un petit lingot de métal, l’étirant et le martelant pour façonner le manche aplati et rectangulaire à la base, puis octogonal, jusqu’à atteindre 18 cm de long. Son extrémité, de forme presque circulaire, est plus épaisse et décorée de croisillons incisés, le tout coiffé d’un bouton. Le cuilleron est lui aussi obtenu par martelage jusqu’à prendre une forme circulaire ou presque.
Toutefois, l’originalité de cet objet réside dans son minuscule décor, 6,2 mm par 4,1 mm, appliqué au poinçon sur la partie large du manche. On y reconnaît un petit écusson qui lui confère un caractère très personnel. Commun et anodin pour nous aujourd’hui, cet objet se rattache en effet au Moyen Âge à une élite qui cherche à se distinguer, la noblesse.
L’écusson, divisé en quatre parties, se compose en 1 et 4 d’alérions (petits aigles) et en 2 et 3 de chevrons. L’attribution de ces symboles à une famille seigneuriale particulière reste malaisée, surtout en l’absence de couleurs.
Dans les Yvelines en effet, plusieurs familles ont porté un blason composé d’alérions. Les Montmorency, les Marly et les Chevreuse utilisaient un motif “d’or à la croix de gueules cantonnée de 4 alérions d’azur ”. Quant aux chevrons, ils étaient utilisés par la famille des Lévis (de Lévis-Saint-Nom) : “d’or à trois chevrons de sable ”.
- Blasons portés par les familles de Chevreuse, Montmorency, Marly (à gauche) et les Lévis (à droite).
Or, le blason de la cuillère possède une “brisure”, c’est-à-dire qu’il présente des motifs issus de plusieurs armoiries, comme c’est souvent le cas lors de mariages et de successions.
Le dernier membre de la famille des Chevreuse pouvant porter des alérions en blason a été Jeanne de Chevreuse, mais celle-ci s’éteint en 1343, ou son fils Ingelger 1er d’Amboise. Ce dernier vend la seigneurie, en 1366, à un certain Pierre (dit de Chevreuse) dont les armoiries sont cependant totalement différentes. Puis, jusqu’au début du XVème siècle, son fils et un cousin se succèdent à la tête de cette seigneurie sans qu’il soit possible de les rapprocher du blason figuré sur la cuillère. La question de son appartenance reste donc ouverte.
Bibliographie Moyen Âge