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L’archéologie, comme complément de mémoire...











Une fouille dans le parc du château de Gambais

Dans le bois du château de Neuville, une équipe d’étudiants dirigée par Olivier Weller, chercheur au CNRS - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (UMR 8215 Trajectoires) – a mené, fin mai, une fouille assez remarquable par son sujet d’étude. Le chantier qui a duré 15 jours pourrait ne pas être perçu comme de l’archéologie car les vestiges étudiés ne sont pas considérés (ou pas encore) comme des éléments du patrimoine. Ils ne font pas l’objet de protection particulière. Pourtant, les gestes et les outils sont ceux que l’on retrouve habituellement ; la plupart des outils a d’ailleurs été prêtée par le Service archéologique départemental.

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Affiche du film Peau d’âne de Jacques Demy, créée par Jim Léon (1970).

Les vestiges fouillés correspondent à une période proche, la fin des années 60, et témoignent d’une activité humaine assez récente : le tournage d’un film. En effet, le parc du château a été le décor du célèbre film de Jacques Demy, “Peau d’âne”, tourné en 1969. Ce bois touffu a servi de cadre, plutôt approprié, à la fameuse scène de la cabane dans laquelle la princesse (Catherine Deneuve) se réfugie avant d’être découverte par le prince (Jacques Perrin).

Enquête archéologique au premier abord, ce projet est en réalité d’une autre portée. Il s’agit avant tout d’une démarche plus large de chercheur qui, par l’intermédiaire des méthodes de l’archéologie, étudie l’histoire d’un film mais également le sujet traité par le cinéaste, le conte (particulièrement celui-ci traitant de l’inceste, puissant tabou qui traverse les cultures) et sa place singulière dans la mémoire collective.

La finalité, aussi spécifique, est de réaliser deux films à partir de cette matière, un documentaire (52 mn) et une fiction (90 ou 110 mn), afin de mettre en images l’enquête archéologique et son dialogue avec la mémoire des témoins directs.

Origine du projet et méthodes

L’émergence du projet de recherche tient à la rencontre entre deux archéologues lors d’un colloque nantais. L’un d’entre eux est le fils d’un des propriétaires du château de Neuville et l’autre un passionné de cinéma… Autour d’une discussion sur le cinéma de Demy, né à Nantes, et le film “Peau d’âne” les souvenirs évoqués sont apparus différents. Pour l’un, il s’agit d’un souvenir de cinéphile et pour l’autre d’un souvenir d’enfance ; le lieu de tournage était son aire de jeu.

Olivier Weller s’est donc lancé, avec le soutien de son laboratoire de recherche, dans le projet de faire dialoguer la mémoire des témoins et les traces matérielles. Sur la base des souvenirs du propriétaire et des images du film, il fallait, en premier lieu, retrouver l’emplacement de la cabane, 40 ans plus tard, dans le vaste bois. Malgré les transformations du paysage, de gros chênes présents en 1969 ont pu servir de repères. Et pour la situer plus précisément, l’équipe a pu bénéficier d’un détail technique infime mais déterminant. Le propriétaire, alors enfant, se souvenait que dans la scène où le prince grimpe à un arbre pour regarder au travers d’une lucarne et découvrir la princesse, Jacques Perrin ne réussissait pas à monter suffisamment haut. Les techniciens avaient donc planté un clou dans l’un des chênes qui bordaient la maison pour servir de marche-pied.

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Le chêne sur lequel monte J. Perrin grâce au clou, aujourd’hui recouvert d’aubier et d’écorce.

C’est ce clou, toujours planté, qui a définitivement confirmé l’emplacement de la cabane.

Avant de démarrer la fouille et pour mieux en définir l’implantation, Olivier Weller et ses collègues du CNRS et de l’INRAP* ont utilisé plusieurs méthodes d’analyse du sol sur un carré d’environ 25 m de côtés : un relevé, au tachéomètre, pour obtenir une représentation des micro-reliefs, une prospection géophysique pour analyser de la résistivité* du sous-sol et la cartographie des anomalies métalliques à l’aide d’un détecteur de métal. Cette dernière approche a fourni énormément d’anomalies pour permettre d’en tirer des conclusions et tous les résultats conjugués ne permettaient pas de révéler le plan précis du bâtiment en bois, tout au plus indiquaient-ils des zones plus denses (une tâche noirâtre et une petite zone près de l’”arbre au clou”).


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Première zone fouillée à l’arrière de la cabane (à gauche, les racines de "l’arbre au clou" et au centre la tâche sombre).

Une première zone de fouille, de 10 m de long sur 2,5 m de large, a donc été définie afin de mieux comprendre ce qui serait l’arrière de la cabane et inclure la tâche sombre. L’épaisseur de terre à dégager étant faible dans ce contexte, du mobilier est rapidement apparu : capsule, verre de bouteille, fragment de tissu, cartouche, fume-cigarette... mais aussi des objets liés au tournage : vitre en plexiglas, verre avec papier réfléchissant (lumière), clous, vis d’un pied d’éclairage, fragments d’ampoules bleues et verre avec papier réfléchissant d’un miroir cassé. Il pourrait correspondre au fameux miroir cassé dans l’une des premières séquences dans la cabane.

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Vis de serrage d’un pied d’éclairage.

Le témoignage de l’assistant du chef opérateur de l’époque a permis de mieux comprendre une partie de ces traces. La parois arrière et l’un des côtés de la cabane étaient en réalité amovibles offrant un accès plus simple aux techniciens, caméras, éclairages...





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Scène pendant laquelle Catherine Deneuve prépare le "cake d’amour" (à l’arrière, la cheminée et le feu alimenté au gaz…).

Cette même tranchée a également permis d’explorer l’intérieur de la cabane, dont la cheminée. À cet emplacement une anomalie métallique avait justement été détectée ; il s’agissait d’une rampe de gaz alimentant la cheminée.

Une nouvelle campagne de fouille sera nécessaire l’année prochaine pour compléter l’étude de cet élément de décor bâti mais également pour appréhender d’autres éléments plus légers car d’autres parties du parc ont servi de décor :
- la maison de la fée des Lilas. Des éléments plus ou moins dégradés sont encore sur place : coquillage, bustes, faux porche en plâtre…
- l’étang, également, que la princesse traverse dans une barque pour accoster sur un ponton : des pieux subsistent certainement ou bien la barque, au fond de l’eau…

En parallèle de la fouille, O. Weller continue d’explorer les archives cinématographiques et familiales ainsi que tous les lieux de tournage de “Peau d’âne“ (les châteaux de Chambord, du Plessis-Bourré et la ferme du château de Gambais…) où des éléments de décor pourraient avoir été conservés. Les rencontres avec les témoins directs se poursuivent ; l’interview de Catherine Deneuve sur le site offrirait un éclairage encore différent grâce à sa mémoire, en particulier de l’espace scénique.

Des enjeux multiples

Ce travail d’étude de restes matériels mis en confrontation avec une documentation écrite, visuelle et orale est pour un archéologue un enjeu méthodologique. En effet, mesurer l’écart entre ce qu’il perçoit d’une action humaine à partir des traces matérielles et ce que toutes les autres sources offrent en complément est tout à fait passionnant. Et puis découvrir l’envers d’un film, les anecdotes, les aspects techniques, les ratés… est un rêve de cinéphile.

Cette démarche inclus également l’étude des traces laissées, puis retrouvées, dans la mémoire. Confronter la mémoire des acteurs, des techniciens, de la famille du réalisateur et des propriétaires permettra peut-être d’obtenir une vision au passé et au présent, de l’intérieur et de l’extérieur de ce tournage. L’une de ces mémoires est particulièrement intéressante à raviver, celle de l’enfant : l’enfant qu’était le propriétaire, la fille de Jacques Demy participant au tournage (Rosalie Varda) ou encore des enfants téléspectateurs de ce film si étrange et si présent dans nos mémoires. Les fouilles et les interviews qui se déroulent autour des restes de cette cabane pourraient ainsi s’apparenter à une quête des origines, ce lieu central qui concrétise les rêves.

Sur un autre plan enfin, le projet porte sur une analyse de la construction du conte de fée, tradition orale fixée sur le papier (ex. Peau d’âne est créé dès le XVIe siècle par un italien), et de ses différentes formes (la peau de l’âne peut être une peau de vieille femme, de souris…). Chaque période interprète ce thème, y compris Jacques Demy au XXe siècle avec son univers à la fois féérique, fantastique, Pop art, et son regard d’enfant…

L’archéologie pourra-t-elle contribuer à mieux comprendre cet art éphémère qu’est le cinéma, le sens du conte de fée “Peau d’âne“ pour Jacques Demy et sa place dans les mémoires ?
Les films qui naîtront de ces travaux permettront certainement d’en débattre. Le réalisateur Pierre-Oscar Lévy (série Archimède sur Arte, documentaires sur la grotte Chauvet) et son regard de cinéaste souhaite concevoir un véritable objet cinématographique pour une diffusion télévisuelle (Arte, France 5) et en salles, comme un écho au film-source de cette recherche...

En attendant, le cinéma de Demy se trouve en ce moment dans une dynamique de valorisation, particulièrement avec la belle exposition qui se tient à la Cinémathèque française, à découvrir jusqu’au 4 août ! (http://www.cinematheque.fr/fr/expositions-cinema/exposition-jacques-demy/)

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"J’ai toujours rêvé d’être archéologue", l’expérience d’élèves de 5e de Bondy, dont le collège accueille en résidence Cyrille Le Forestier, archéologue de l’Inrap, pour une année scolaire. Une émission de 30 mn sur France Culture où les enfants s’expriment sur leurs découvertes et le métier d’archéologue. A écouter !

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