Après une jeunesse dans les armées romaines, le Gaulois de Richebourg s'installe en territoire carnute. Commence alors la deuxième période de sa vie. Après l'aventure militaire, vient le temps de l'influence politique. Il est devenu un des magistrats influents qui dirigent la cité. La découverte d'un coin monétaire (matrice métallique servant à la frappe des monnaies) montre qu'il est probablement responsable de l'émission des pièces de bronze. Il pourrait s'agir du dénommé Pixtilos, émetteur des monnaies de l'époque pour la cité carnute.
Il a certainement acquis la citoyenneté romaine. C'est une pratique répandue pour récompenser les chefs gaulois ayant combattu aux côtés de Rome. Un indice précis conforte cette hypothèse. Un bijou très rare, une intaille (cabochon de bague gravé en creux) a été retrouvée. Elle porte l'effigie d'Octave, qui deviendra l'empereur Auguste. C'est un objet à haute valeur politique. Le Gaulois de Richebourg veut affirmer qu'il est un personnage important qui adhère ostensiblement à l'Empire.
Il fait tout pour affirmer son appartenance à l'aristocratie moderne et romanisée. Il fait construire son domaine en pleine campagne, à 60 km au nord-ouest de Chartres. La cour agricole (la pars rustica) est entourée d'une enceinte. Avec ses 14 hectares, soit l'équivalent du Jardin des Plantes à Paris, c'est l'une des plus grandes connues pour l'époque en Europe. Mais c'est la maison elle-même qui surprend le plus les archéologues. On peut parler d'une véritable villa. Et nous sommes vers - 40, soit une dizaine d'années seulement après la conquête. C'est la première fois que des bâtiments sont construits selon le modèle romain. Il n'y a pourtant pas encore de maçons romains dans le pays. Mais les bâtisseurs gaulois sont ingénieux. Sur l'enduit qui recouvre les colombages, ils gravent des faux joints donnant l'illusion d'un mur en pierre.
Son prestige, il l'affirme aussi par sa table. A grands frais, il achète de la vaisselle de bronze et de la céramique fine d'Italie. C'est par chariots entiers qu'il fait venir des amphores de crus renommés depuis l'Italie et l'Espagne.
Il ne nie pas ses origines. Même romanisé, en bon Gaulois, il continue à vénérer les dieux de ses ancêtres. Mais pour affirmer son rang, il n'hésite pas à faire construire un temple au sein même de sa propriété. C'est l'un des plus anciens de ce genre que l'on connaisse en Europe. Il y pratique le culte des dieux gaulois, et celui des héros mythiques de sa famille.
Vers -10, l'ancienne villa, vieille de 30 ans, ne correspond plus au standing de la famille. Elle est démolie et remplacée par une demeure plus vaste et plus luxueuse. Le possesseur du domaine veut, cette fois encore, construire comme les Romains. L'époque s'y prête davantage. Il dispose de maçons formés. Mais de l'architecture romaine, il ne connaît que les bâtiments militaires. Il fait construire sa villa d'après le souvenir qu'il a gardé des casernes de sa jeunesse. Pour Yvan Barat, cette hypothèse permet d'expliquer l'apparition du plan des villae en longueur qui se répandra dans tout le nord de l'Europe romaine. La maison traditionnelle gauloise est construite autour d'une grande pièce commune où s'organise la vie de la famille. Ici, ce principe est abandonné. On trouve une succession de pièces alignées. Un type de construction correspond à ce plan dans le monde antique à l'époque : les baraquements militaires.
La résidence est un véritable manoir. Entre le rez-de-chaussée, la grande galerie et l'étage, sa superficie dépasse 1 000 m2. Les pièces d'habitation mesurent de 13 à 30 m2. Des peintures et des décors de stuc ornent les murs. Les sols sont couverts de planchers. Pour compléter ce luxe " à la romaine ", des bains chauds sont aménagés dans une aile. Mais une chose frappe peut-être davantage encore le promeneur : un jardin. On n'en avait jamais vu de pareil dans la région. Il s'agit d'une découverte sans précédent pour les archéologues. On n'en connaît que quelques rares exemples dans le monde romain (Pompéi, Fishbourne en Grande-Bretagne) (voir encadré X).
On sort de l'enceinte privée par un porche monumental. Il faut impressionner le visiteur. A gauche une petite voie est longée de trois petites chapelles. La première semble plus ancienne. C'est un tout petit espace couvert qui abrite une statue de bois, sans doute d'origine gauloise. Les deux suivantes sont des petites niches carrées destinées à des cultes secondaires. Au bout du chemin, se dresse un grand fanum. C'est un bâtiment carré, construit en pierre. Il est entouré d'une galerie couverte. Installé à l'emplacement du précédent temple, il en garde sans doute la fonction de dévotion familiale. Par son caractère monumental, il sert aussi à affirmer la situation sociale de la famille. Et sa localisation, à l'extérieur de l'enceinte privée du domaine, en fait un lieu accessible à tous. Peu de traces d'activité religieuse ont été retrouvées, d'autant moins que des prospecteurs clandestins ont pillé le site en août 1997. Quelques offrandes ont échappé aux voleurs. Elles se composent de fragments de statuettes de Vénus, d'un fragment de fibule (broche) et d'un lot de monnaies gauloises et romaines. La présence d'une hache polie préhistorique en roche verte s'explique grâce à des textes d'auteurs antiques. On lui attribue une valeur surnaturelle. Elle est censée écarter la foudre et, placée sur l'autel, elle empêcherait les offrandes de brûler.
En face de la résidence, un immense grenier est édifié (tour d'une quinzaine de mètres de hauteur et bâtiment accolé). Les énormes quantités de grains stockées ne peuvent venir exclusivement du domaine. Elles proviennent de toute la région. Riche et influent notable, notre homme veut (comme bien d'autres) spéculer sur ces denrées. Il les amasse pour les revendre ensuite à haut prix, notamment dans le cadre de l'Anonne (encadré Y) ou en cas de disette. Ceci explique le caractère " fortifié " de ce grenier qu'il faut protéger contre les convoitises extérieures.
L'époque qui suit (les Ier et IIème siècles) est considérée comme faste dans l'Empire romain. La Gaule est pacifiée et il y règne une certaine prospérité économique : c'est ce qu'on appelle la paix romaine. Au IIème siècle, les propriétaires font démolir la grange, preuve que la spéculation sur le blé est abandonnée. Mais ils disposent d'autres ressources, comme l'attestent les aménagements qu'ils pratiquent sur leur propriété. Le train de vie ne change pas. Les descendants font même construire de nouveaux bains plus vastes.