Au sein de l'enceinte privée de la villa s'élève une grange. Une tour en dépasse, haute de plus de 16 m (soit un immeuble actuel de 5 étages). C'est là que le propriétaire stocke du blé. Les dimensions de la tour impliquent des capacités de stockage bien supérieures aux besoins d'une villa. L'étude des pollens montre que les céréales qu'on y entrepose ne sont pas cultivées ni préparées sur place (battage, vannage). Pourquoi a-t-on reçu, puis entreposé du blé en telles quantités ?

 

Rome a d'énormes besoins en denrées alimentaires, et particulièrement en céréales pour approvisionner l'Empire et ses armées. La nombreuse population de " la ville éternelle " est toujours à la merci de famines, et donc d'émeutes. Les distributions gratuites s'élèvent à 80 000 tonnes de blé chaque année. L'empereur Auguste crée donc un service, la Préfecture de l'Annone, chargé d'organiser ce ravitaillement.

 

Des personnages privés (parfois groupés en sociétés), les publicains, se chargent alors de fournir les quantités demandées de toutes les façons possibles. Pour cela, ils achètent à bas prix dans les périodes d'abondance, assurent les réquisitions ou les prélèvements fiscaux (tributs, dîmes)... Notre homme profite ainsi très probablement de sa position sociale et politique éminente. Il s'enrichit en proposant ses services et ses stocks.

 

Par ailleurs, la villa de Richebourg se trouve au bord d'un des trajets de " l'Itinéraire d'Antonin ". Ce document du début du IIIème siècle établit la liste des routes et des entrepôts de l'Annone. On peut penser que les routes mentionnées à cette époque reprennent les chemins annonaires plus anciens. Si tel est le cas, cela confirmerait la fonction fiscale du site.

 

Cependant, l'hypothèse de l'Annone en Gaule pose problème. Il est communément admis que ce prélèvement n'y était pratiqué qu'exceptionnellement. Les principaux pourvoyeurs sont l'Egypte, l'Afrique romaine et la Sicile. Il n'aurait été fait appel à d'autres provinces que lorsque les récoltes y étaient mauvaises. Pourtant, plusieurs indices suggèrent une Annone régulière en Gaule. A Lyon, une confrérie professionnelle se nomme riparii annonari, " riverains de l'Annone ". Cette entreprise portuaire revendique ainsi un rattachement direct à l'Annone. Pour se présenter en ces termes, il faut que son activité soit permanente. Un autre indice est fourni par les naviculaires d'Arles, une entreprise de navigation sur le Rhône. Sur une inscription, ils se disent " en relation privilégiée et régulière avec le préfet de l'Annone ". Or, leur localisation est incompatible avec le transport du blé d'Egypte. Il serait par ailleurs étonnant que la Gaule, une des provinces les plus riches de l'Empire, considérée comme un grenier à blé, ait pu échapper à cette ponction.



LE GAULOIS DE RICHEBOURG SPÉCULE SUR LE BLÉ